Brutalisme, d’Achille Mbembe, une lecture glaçante de notre époque

Article : Brutalisme, d’Achille Mbembe, une lecture glaçante de notre époque
Crédit: Heike Huslage-Koch (CC)
4 septembre 2020

Brutalisme, d’Achille Mbembe, une lecture glaçante de notre époque

Après Critique de la raison nègre (2013) et Politiques de l’inimitié (2016), Joseph-Achille Mbembe revient avec Brutalisme (2020). Ce nouvel essai s’inscrit dans la suite d’une série de réflexions, déjà entamées dans les précédents ouvrages, de l’historien et philosophe camerounais, sur l’époque actuelle.
Crédit : Heike Huslage-Koch (CC)

Quand on entend « brutalisme », cela fait vite penser à ce courant architectural caractérisé par l’absence d’ornements et le recours aux matériaux « bruts », notamment au béton brut. C’est ce même terme qu’Achille Mbembe utilise pour embarquer sa lecture, entre autres, du libéralisme. Pour l’auteur :

« Architecture et politique sont donc affaire de disposition en règle de matériaux et de corps, affaire de quantités, de volumes, d’étendues et de mesures, de distribution et modulation de la force et de l’énergie » (p. 8).

Mers et déserts transformés en cimetières

Des États-Unis à la Corée du Nord, en passant par l’Israël, la Cisjordanie ou encore l’Inde, de plus en plus de gadgets de contrôle. Des murs, des barbelés, des barrières militarisées, des caméras, de nouvelles ou de séculaires peurs instrumentalisées. Ces dispositifs s’étendent sur quelque 40 000 kilomètres, l’équivalent de la circonférence de la Terre. Auxquels s’ajoutent les mers et les déserts transformés en cimetières pour les migrants.

Crédit : Wall in Palestine, via Flickr

En fait, le « brutalisme » désigne un certain nombre de dispositifs et de techniques de gouvernement propres à cette phase relativement inédite du développement du capitalisme et de l’histoire politique de notre monde. Sur le plan juridique, cette phase est caractérisée par la mise en place de l’état d’exception. Et sur le plan technologique, elle est marquée par l’extension du calcul sous sa forme numérique, souligne le philosophe, dans un entrevu accordée au magazine Le Point.

En effet, Mbembe soutient que le capitalisme numérique – notamment à travers les algorithmes qui le caractérisent – est l’avatar de cette course effrénée vers l’exploitation des hommes et de la Terre.

« Ce devenir-artificiel de l’humanité et son pendant, le devenir-humain des objets et des machines, constituent peut-être la véritable substance de ce que d’aucuns nomment, aujourd’hui, le “grand remplacement » (p. 23).

Le devenir-nègre du monde

À travers Brutalisme (éd. La Découverte), Achille Mbembe analyse les travers des démocraties libérales. Ces formes d’organisation politique cèdent à la tentation d’installer un état d’exception permanent. Par conséquent, les démocraties ont recours à la surveillance de masse. Du même coup, elles restreignent les libertés individuelles au nom de la lutte contre le terrorisme.

Au moment du mouvement Black Lives Matter, l’auteur jette un regard sur les violences policières. Il décrit l’usage par les forces de police d’armes de guerre arrachant les mains, éborgnant, quand elles ne tuent pas celles et ceux qui manifestent pour la défense de leurs droits ou de leur pouvoir d’achat.

Crédit : alisdare1 (CC)

Le traitement des « Nègres » en « hommes-déchets », s’étend sur toute la planète, observe Mbembe. C’est là le « devenir-africain du monde » et le « devenir-nègre du monde ». C’est à une véritable « guerre sociale » que l’on a affaire, dépeint l’auteur. Cependant « les soulèvements ne visent plus à renverser et à démanteler (…) le capitalisme », dénonce-t-il. Au contraire, ils répondent au désir d’être intégré à ce système.

Au demeurant, dans cet essai, l’auteur est plus optimiste. Il considère que le Brutalisme n’est pas sans solution. Depuis qu’il a créé – avec Felwine Sarr – Les Ateliers de la pensée de Dakar –, il voit en l’Afrique, un « laboratoire de mutations d’ordre planétaire ».

MMM

Partagez

Commentaires